- J'aime bien ta coiffure, dit-il.
Pour fêter mon vendredi de congé, j'avais laissé mes cheveux détachés. D'habitude, je les tressais ou j'en faisais un chignon pour qu'ils ne me gênent pas, mais, aujourd'hui, ils flottaient au vent comme un rideau brun qui retombait de chaque côté de mon visage.
Je pliai le poignet pour faire ressortir une des longues aiguilles d'argent sur mon bracelet de force, et la plantai dedans pour les maintenir en place. Je souris de toutes mes dents à Curran. Et voilà.
Il se mit à rire.
- Trop mignonne. Ça ne te fatigue pas de jouer les dures tout le temps ?
Mignonne. Je crois que je préférerais être poignardée dans l’œil plutôt qu'on me dise que j'étais mignonne.
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- De toute façon, tout ce que veut Sa Majesté, c'est une Madame Puis-je. Et il ne risque pas de la trouver chez moi.
- Une Madame Puis-je ? demanda Andrea en fronçant les sourcils.
Je me renfonçai dans mon siège.
- Puis-je vous apporter votre repas, Votre Majesté ? Puis-je vous dire à quel point vous êtes fort et puissant, Votre Majesté ? Puis-je vous enlever vos puces, Votre Majesté ? Puis-je vous lécher le cul, Votre Majesté ? Puis-je...
Je réalisai soudain que Raphaël était complètement immobile. Figé, comme une statue le regard était fixé sur un point au-dessus de ma tête.
- Il est derrière moi, c'est ça ?
Andrea hocha lentement la tête.
- Techniquement, ça devrait être "pourrais-je", dit Curran d'une voix plus profonde que ce dont je me souvenais. Dans la mesure où tu demandes la permission.
Il entra dans mon champ de vision, tendis la main vers une chaise à la table à côté de la nôtre, et découvrit qu'elle était fixée au sol. Il l'attrapa d'une main et l'arracha du béton, laissant quatre vis dépasser du revêtement. Il posa la chaise à côté de moi, le dossier vers moi, et l'enjamba comme si c'était un cheval, croisant les bras sur le dossier pour montrer ses biceps bien dessinés.
Pourquoi moi ?
— On dirait que ça a marché. Quoi ?
La foule devint folle.
Jim nous attendait près de la Porte d’Or. Il nous montrait les dents.
— On avait dit gagner de justesse.
— Tu avais dit maladroit ! Tu vois. Je n’ai même pas utilisé mon sabre, je l’ai frappé de la tête, comme une débile.
— Tu l’as désarmé et tu l’as descendu en moins de deux secondes.
Il se tourna vers Curran.
Le Seigneur des Bêtes haussa les épaules.
— Ce n’est pas ma faute s’il ne savait pas tomber.
Le regard de Jim accrocha alors Dali.
— C’était quoi, ça ?
— Dents écarlates de la Mort.
— Et tu avais l’intention de m’en parler un jour ?
— Je t’ai dit que je faisais dans la malédiction.
— Tu m’as dit que ça ne fonctionnait pas.
— J’ai dit que ça ne fonctionnait pas toujours. Celui-là a fonctionné. (Elle fronça les sourcils.) C’est pas comme si j’avais l’habitude de m’en servir contre des adversaires vivants. C’était un accident.
L’écritoire se brisa entre les doigts de Jim. Il se retourna et partit.
— Je crois qu’on l’a blessé.
Dali regarda son dos, soupira et le poursuivit.
Curran demanda :
— Qu’est-ce que je devais faire ? Attraper le bison-garou avant qu’il tombe ?
— Lorsque Jim a ouvert la porte pour sortir, Curran lui a susurré que s’il comptait affronter sa future compagne, Curran ne viendrait pas le sauver quand tu lui botterais le cul. Tu aurais dû voir la tête de Jim.
— Sa quoi ?
— Sa compagne. C-O-M-P-A-G-N-E.
Je jurai.
Andrea sourit.
— Je pensai bien que ça allait illuminer ta journée. Tu es coincée avec lui ici pour trois jours et vous allez vous battre ensemble dans l’Arène. C’est tellement romantique. Comme une lune de miel…
Il libéra ses bras de mes genoux, m’attira contre lui sans même se soucier de la dague, et m’embrassa.
Sa langue caressa mes lèvres. La chaleur m’envahit. Il glissa la main dans mes cheveux. Subitement, j’eus envie de savoir quel goût il avait. Il m’avait déjà embrassée, juste avant qu’on se batte contre le Rôdeur de Red Point. Ca faisait quatre mois que je n’arrivais pas à oublier ce baiser. Il fallait peut-être que je l’embrasse à nouveau pour exorciser le souvenir et ne plus jamais y penser. J’ouvris la bouche pour lui laisser le passage.
Oh. Mon. Dieu. L’univers explosa.
Il avait un goût enivrant. Comme du vin sauvage.
Je me laissai aller contre lui, grisée par son goût et son odeur, séduite par la sensation de son corps musclé autour du mien. La tête me tournait.
Embrasse-moi. Embrasse-moi encore. Embrasse-moi, Curran.
Qu’est-ce qui n’allait pas chez moi, bon sang ?
- Non !
Je me débattis contre sa poitrine solide. Il me maintient contre lui un instant de trop et me relâcha avec un grognement grave et affamé. Je bondis sur mes pieds et reculai, les jambes vacillantes.
- Ca va pas la tête ?
- Qu’est-ce qui t’arrive ? Je croyais que tu ne voulais pas de moi, même si j’étais le dernier homme sur terre. Tu as changé d’avis ?
- Sors de chez moi !
Il resta allongé sur mon tapis, comme un chat paresseux, un grand sourire satisfait sur aux lèvres.
- C’était comment ?
- Nul, mentis-je. Pas d’étincelle. Rien. C’était comme embrasser mon frère.
J’avais encore la tête qui tournait. Je voulais le toucher, glisser mes mains sous son tee-shirt, passer mes doigts sur ses bras musculeux… Je voulais sentir sa bouche contre la mienne.
Non ! Pas de contact. Pas de baiser. Non, hors de question.
- Vraiment ? C'est pour ça que tu as passé tes bras autour de mon cou ?
Enfoiré.
- C'était un coup de folie passager, répondis-je en lui indiquant la porte.
- Tu es sûre que tu ne veux pas que je reste ? Je pourrais te faire du café et te demander comment s'est passé ta journée.
- Dehors. Tout de suite.
Il poussa un soupire théâtral et sauta sur ses pieds sans même s'aider de ses mains. Sale frimeur.
Il me tendit la dague par la poignée.
- Tu veux récupérer ça ?
Il m'avait fait lâcher ma dague. Je ne lâchais mes armes, sauf quand c'était fait exprès.
P.168-169
- Merde. Merde. Putain.
- Putain de merde, ça marche aussi.
- Le chef de la sécurité de la Meute est devenu rebelle, Derek est aux portes de la mort et tu sors avec le Seigneur des Bêtes.
- Jim n'est pas un rebelle. C'est juste qu'il ne suit pas les ordres en ce moment.
- C'est exactement ça, être un rebelle !
Ok, peut-être.
- Et pour information je ne sors pas avec Curran.
Andrea secoua la tête.
- De quelle planète viens-tu ? Il se glisse dans ton appartement pour te border la nuit. Tous ses instincts protecteurs sont sur le coup. Il pense que tu es sa copine.
- Il peut se penser ce qu'il veut. Ce n'est pas pour ça que c'est vrai.
Andrea écarquilla les yeux.
- Je viens juste de me rendre compte d'un truc : il te traite comme il traiterait un métamorphe alpha. Il te courtise selon les règles pas tout à fait humaines. Est-ce qu'il t'a déjà demandé de lui faire à dîner ? C'est un sacré truc pour eux, le dîner.
- Non.
L'enfer gèlerait avant que je cuisine pour Curran.
- Ecoute, je ne suis pas une métamorphe et il est déjà sorti avec des humaines.
- Justement, dit Andrea en faisant claquer ses ongles sur la table. Une incitation aussi directe est un défi. C'est comme ça qu'un mâle alpha approcherait une femelle alpha. Ils ne pensent qu'aux luttes de pouvoir et à la chasse, ils ne sont pas très subtils. Je sais que ça paraît tordu, mais en fait, c'est un compliment de sa part.
- Il peut prendre son compliment et se le carrer là où le soleil ne brille jamais.
- Je peux te piquer ta phrase pour la réutiliser ?
- Je t'en prie. J'ai travaillé trop dur pour être son caprice de passage.
Je remis le dossier dans mon tiroir et frôlai un vieux livre du bout des doigts. The Princess Bride. Cette nuit là, à Savannah, quand il m'avait presque embrassée, il était en train de le lire et, quand je lui avais dit de partir, il avait répondu "comme vous voudrez".
P173
Nous nous regardâmes.
- Alors ? demanda-t-elle. Comment c’était d’embrasser Curran ?
- Je dois absolument l’empêcher de recommencer, parce que s’il le refait, je vais finir dans son lit.
Andrea cligna des yeux.
- OK, dit-elle finalement. Au moins, tu sais à quoi t’en tenir.
P.175
Je le fixai pendant une seconde avant d’écraser mon poing droit sur son plexus solaire. Il grogna.
Doolittle prit ses jambes à son cou.
- C’est quoi ton problème, putain ?
Je cherchai quelque chose de lourd avec quoi le frapper, mais la pièce était presque vide. Il y avait bien des instruments chirurgicaux, mais pas d’objet bien lourd pouvant provoquer la douleur que j’avais en tête.
Il se redressa.
- Il était fait d’argent ! lui crachai-je au visage. Tout était sous contrôle ! Qu’est-ce qu’il t’est passé par la tête ? Oh, un golem en argent toxique, et si je lui sautais sur le dos ? C’est une putain de bonne idée !
Il me souleva de terre et, brutalement, je me retrouvai pressée contre sa poitrine.
- Tu t’inquiétais pour moi ?
- Non, je t’engueule pour le plaisir, parce que je suis une vieille conne qui aime râler !
Il sourit.
- Espèce de débile ! m’exclamai-je.
Il se contenta de me regarder. Dans ses yeux brillaient des étincelles dorées, pleines de satisfaction. J’avais appris à mes dépends ce que signifiaient ces étincelles. Ma fureur disparut, remplacée par une sensation d’alarme.
- Si tu m’embrasses, je te tue, dis-je pour l’avertir.
- Ca en vaudra la peine quand même, répondit-il doucement.
S’il me tenait contre lui un instant de plus, j’allais finir par perdre la boule et l’embrasser moi-même. J’étais tellement heureuse qu’il soit encore en vie.
Quand on se noie, il faut se rattraper à tout ce qui flotte. Même un brin d’herbe, si c’est le seul choix.
- J’ai le flanc qui saigne, Votre Majesté.
Il me relâcha et appela Doolittle.
P.351
- Comment comptais-tu empêcher Jim de le faire ? C’était l’Alpha le plus haut placé. C’était son devoir.
- Je me suis servie de mon rang, expliquai-je. J’ai dit que, comme tu avais accepté l’aide de l’Ordre, j’étais la supérieure hiérarchique de tout le monde.
Il se mit à rire.
- Et ils t’ont crue ?
- Ouais. Je les ai regardés d’un air furieux pour ajouter un côté théâtral. Malheureusement, mes yeux ne brillent pas comme les tiens.
- Comme ça ? murmura-t-il dans mon oreille.
J’ouvrir les yeux d’un coup. Il se tenait juste devant moi, planté sur le sol du bassin, les bras appuyés au rebord, de chaque coté de mon corps. Ses yeux ressemblaient à de l’or fondu, mais ce n’était pas son regard d’alpha habituel, féroce et mortel. C’était un or chaleureux, attirant, teinté d’une lueur de désir.
- Ne m’oblige pas à te briser cette bouteille sur la tête, murmurai-je.
- Tu ne le feras pas, dit-il avec un grand sourire. Tu ne veux pas que je souffre.
Nous nous jetâmes l’un sur l’autre au même moment, dévorés d’envie, assoiffés de savourer le gout de l’autre. Des avertissements et des alarmes hurlèrent dans mon esprit, mais je les fis taire. Merde, après tout.
P.359
Je rêvai de Curran, hurlant « guérissez-la ! » et de Doolittle répondant qu’il n’était pas Dieu et qu’il y avait des limites à ce qu’il était capable de faire. Je rêvai de Julie pleurant à côté de mon lit, de Jim assis à côté de moi et d’Andrea qui me racontait une histoire trop compliquée… Les bruits se fondirent dans ma tête jusqu’à ce que je ne puisse plus les supporter.
- Vous voulez bien vous taire ? Merci.
Je clignai des yeux et vis le visage de Curran.
- Salut, dit-il.
- Salut. (Je lui souris. Il était en vie. J’étais en vie.) J’étais en train de dire aux gens dans ma tête de la fermer.
- Il existe des médicaments pour ça.
- Ca m’étonnerait que je puisse me les payer.
Il me caressa la joue.
- Tu es venu pour moi, murmurai-je.
- Je viendrais toujours, dit-il.
- Tu es un foutu imbécile. Tu voulais te suicider, ou quoi ?
- J’essaie juste de garder la forme. Te protéger, ça me fait faire de l’exercice.
Il se pencha et m’embrassa doucement sur les lèvres. Je tendis les bras et il me serra contre lui, me gardant ainsi un long moment. Je fermai les yeux souriant devant la sensation plaisante de sa peau contre la mienne.
P.387