17 Juin 2016
Titre : Dans la peau d'Erica
Auteur : Michelle Painchaud
Editions : Mosaic
— C’est juste mon rôle de mère.
Cette dernière phrase résonne dans ma tête pendant que je me brosse les dents, me frotte les cheveux avec le shampooing de luxe et le gant de loofah qui ont dû coûter plus cher que toutes les fripes que je mettais avant réunies. Je ne sais pas quel est le rôle d’une mère . Ma vraie mère, celle qui m’a mise au monde, m’a abandonnée sur les marches d’une église . Elle était sûrement trop jeune pour avoir un enfant. Le curé m’a confiée à une famille d’accueil et Sal est venu me chercher quand j’avais cinq ans. Je ne sais pas ce que veut dire vraiment le mot mère. Sal m’aimait, j’imagine, mais pas d’une manière si profonde, si désespérée . J’avais vu des films et tout, mais ce sentiment particulier ne m’avait jamais traversée jusqu’à maintenant. Je commence à comprendre.
Mon lit est froid . Sur les étagères, les poupées me regardent d’un air méchant.
Le temps joue pour moi. Encore un peu et tous les proches d’Erica me feront confiance, et, une fois que la confiance sera là, le code ne sera plus très loin. L’horloge du micro-ondes brille dans la nuit et la fausse fille remonte l’escalier pour dormir dans son faux lit, dans sa fausse maison, remplie de gens qui, eux, ne sont pas faux. Qui sont faits de chair et de sang, alors qu’elle n’est faite que de mensonge et de toc.
— D’un côté, j’aimerais qu’on les attrape, qu’on leur fasse payer, vous comprenez ? Mais, de l’autre, ils m’ont élevée. Ils m’ont donné une vie plutôt pas mal. Si seulement ils ne m’avaient pas menti, si seulement…
Mentir. Le monde ne fait que cela. Cette fille ne fait que cela. Des larmes me jaillissent des yeux, de vraies larmes, qui coulent naturellement, si facilement que cela me fait peur.
— Je suis désolée, dis-je dans un sanglot.
Je m’essuie les yeux avec ma manche et Mme Silverman attire mon visage contre le sien. Ce n’est pas grand-chose mais mes pleurs redoublent . Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je pleure ? Le conseiller toussote et fait un geste de la main.
— Ça suffit, Katie. Restons-en là.
— La vérité est toujours difficile à dire, répond Katie d’un ton compatissant, même si les caméras sont déjà éteintes.
Mais ce n’est pas la vérité. Aucune vérité ne pourrait rivaliser avec toutes ces épines qui me transpercent plus profondément, plus douloureusement, chaque jour que je passe dans le nid des bras de cette femme. Ce n’est jamais qu’une arnaque. J’en ai déjà monté des centaines. Pourquoi celle-ci me fait-elle souffrir ?